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Le soir, quand le soleil descend derrière les collines, la coutume veut que
les anciens racontent les légendes du peuple indien. Alors les guerriers, squaws et papooses s'installent autour du conteur, et celui-ci raconte .. En ces temps étranges, le soleil s'est arrêté au-dessus de la terre .. il n'y a plus ni ombre, ni nuit ... Les bêtes et les hommes ont bien du mal à dormir, dès qu'ils s'assoupissent un instant, la brûlure de la lumière les réveille bien vite. Seuls les serpents s'en accommodent .. car on ne sait par quel incroyable hasard, les serpents possèdent également la nuit et les ténèbres. Ce qui est profondément injuste ! Un jour, le grand chef Indien s'enfonce au plus profond de la forêt, là où vit le roi des serpents, pour le prier de partager les ténèbres avec tout le monde. Le roi des serpents dort dans son palais d'ombre fraîche quand le grand chef Indien se présente devant lui. Au bruit qu'il fait, le serpent se réveille en sursaut. - Qui es-tu, toi qui oses interrompre mon repos ? siffle-t-il furieux. Le grand chef Indien lève les bras en signe de paix et dépose au pied du serpent un arc magnifique et des flèches à la pointe d'or : - Je ne suis qu'un pauvre homme, ô serpent, qui vient te demander un peu de nuit et de ténèbres. En échange, voici le plus beau présent que je puisse t'offrir. Le serpent le fixe de son oeil immobile : - Que puis-je faire d'un arc, ô homme, moi qui n'ai pas de mains ? Le grand chef Indien songe qu'il a raison ! Il retourne chez les siens, convoque le conseil des Anciens qui, après délibération, décide d'offrir au serpent une crécelle. Sage idée, pense le grand chef. Elle lui sera utile pour accompagner les danses de son peuple. Et il s'aventure à nouveau au coeur de la forêt. Le roi des serpents l'attend. Il considère la crécelle d'un air songeur : - Que puis-je faire d'une crécelle, ô homme, moi qui n'ai pas de mains ? Mais cette fois, le grand chef Indien a une réponse : - Je vais l'attacher au bout de ta queue, ô serpent, cela t'amusera. Ce qu'il fait. Et quand le roi des serpents remue la queue, la crécelle tinte. Il trouve cela assez drôle, en effet. Alors il donne au grand chef Indien un peu de nuit et de ténèbres, qu'il emprisonne dans un sac en cuir. Le grand chef soupèse le sac, c'est bien léger !.. - Dis-moi, ô roi des serpents, que veux-tu en échange de la nuit toute entière et de ses ténèbres ? Le serpent réfléchit, l'oeil mi-clos. - Ce que tu demandes là est considérable ! Cent crécelles ne suffiront point. Apporte-moi plutôt une grosse cruche de ce terrible poison dont vous enduisez la pointe de vos flèches ! Sur ce, le grand chef Indien s'en retourne au village. Les siens le reçoivent triomphalement et lorsque l'on ouvre le petit sac en cuir, la nuit et ses ténèbres recouvrent la terre. Les Indiens peuvent alors se reposer. Mais le sac est minuscule et la nuit de courte durée. A peine le sommeil s'est installé sous les paupières que la lumière l'en chasse bien vite. Les Indiens ne s'accommodent point de ce jour si long et de cette nuit si brève. On convoque à nouveau le conseil des Anciens qui autorise alors le grand chef à porter au roi des serpents une cruche pleine de poison. C'est un long, très long travail que de recueillir goutte à goutte toute cette quantité de poison, mais ils y parviennent, tant est grand leur désir de ténèbres. Et pour la troisième fois, le grand chef Indien s'enfonce dans la forêt. Le roi des serpents a fait préparer dans un grand sac une longue nuit pleine de ténèbres et il l'offre au grand chef en échange de la grosse cruche de poison. - Je te remercie au noms des miens, ô roi, dit le chef Indien. Mais, dis-moi, une chose m'intrigue : que vas-tu donc faire de ce terrible poison ? Le serpent soupire : - Vois comment nous sommes : petits, faibles pour la plupart, inoffensifs et désarmés. Trop de gens nous font des misères. Ce poison servira à nous défendre à l'occasion. Le grand chef hoche la tête : - Il est juste que tous puissent se protéger ! Il met le grand sac sur son épaule. Mais le serpent ajoute : - Surtout, n'ouvre pas ce sac avant d'arriver chez toi. Les ténèbres envahiraient la terre avant que je n'ai eu le temps de distribuer le poison à tous les miens. Le grand chef promet et s'en retourne vers son peuple. Mais sur le chemin, il rencontre un perroquet. - Qu'as-tu sur tes épaules, ô grand chef Indien ? A peine a-t-il répondu, que l'indiscret oiseau s'envole en criant à tue-tête : L'homme porte dans son sac une longue nuit pleine de ténèbres ! Venez tous ! Et tous les animaux s'attroupent autour du grand chef. Et ils supplient : Montre-nous, montre-nous, .. Le grand chef refuse, rappelant la promesse qu'il a faite au serpent, mais les animaux ne veulent rien entendre, ils lui arrachent le sac des mains et l'ouvrent en poussant des cris de joie. Tout aussitôt, les ténèbres plongent la terre dans une nuit épaisse. Ainsi qu'il l'a dit, le roi des serpents est en train de répartir le poison entre les siens, mais la grande nuit noire l'empêche de poursuivre sa tâche. Et pire, les serpents, affolés, se bousculent pour avoir leur part et renversent alors la cruche de poison .. Les uns ont réussi à emporter une grande quantité de poison, d'autres un peu, et certains pas du tout. Voilà pourquoi, aujourd'hui, il y a des serpents venimeux, dont la morsure est parfois mortelle, et des serpents qui ne le sont pas. Ce n'est pas toujours facile à deviner. Sauf pour la famille du roi : ceux qui en font partie portent tous une crécelle au bout de la queue, .. vous savez, ce petit cadeau amusant du grand chef Indien ! "Légende des Indiens d'Amérique" telle que je la raconte aux enfants .. |