Imaginez .. une salle de classe .. et la maîtresse
demande :
- Savez-vous, les enfants, ce qu'est un arbre généalogique ? Ouh ! .. elle pose parfois de drôles de questions, la maîtresse
! - Et toi, Ousmane, sais-tu ce que c'est ?
Moi ? .. Je connais le pommier du jardin d'en face, je connais .. je connais
même des saules qui pleurent .. mais un arbre géné .. géné-pas-logique,
je n'en ai jamais vu. D'ailleurs, j'en suis sûr, personne dans la classe n'en
a entendu parler. A part Sophie, peut-être .. Elle a sûrement appris tous
les arbres de la terre par ordre alphabétique. Tiens, justement, c'est elle
qui réponds !
Comment ! Elle dit que c'est un arbre où l'on met les grands-pères et les
grands-mères. Oh, là, là, pauvre Sophie !.. Il a dû lui pousser un bonzaï
dans la tête ! .. Cela nous fait bien rire !
Quoi ? La maîtresse dit qu'elle a raison ! ça alors ! des grands-pères et
des grands-mères perchés sur des branches ! Qu'est-ce qu'ils font là ?
En tout cas, c'est sûr, mon grand-père ne voudra jamais monter dessus !
Alors la maîtresse explique qu'un arbre généalogique ce n'est pas
vraiment un arbre. Il en a juste la forme. Il permet de présenter l'histoire
d'une famille. Et elle demande aux enfants d'apporter une photo de
leurs parents et de leurs grands-parents, et de les interroger sur leur vie.
Pour Papa et Maman, pas de problème, se dit Ousmane. Mais pour
Grand-Père, comment le convaincre que ma maîtresse veut sa photo ?
De retour à la maison, Ousmane la lui demande quand même.
Grand-Père le regarde droit dans les yeux et lui dit : Jamais personne ne m'aplatira sur une image, pas même ta maîtresse !
- Mais, Grand-Père, c'est juste pour la mettre dans un arbre.
- Un arbre ! Elle veut accrocher ma photo à un arbre ! Mais je vais lui
dire deux mots à ta maîtresse !
- Justement, elle veut aussi que tu lui racontes ta vie.
Alors là, Grand-Père se calme. Il adore parler de lui !
- Ah !.. Tu pourras lui dire qu'il y a très longtemps, j'habitais un petit
village en Afrique. Très loin d'ici, mais très près du désert .. N'oublie
pas de lui raconter aussi que j'étais forgeron. Je fabriquais des lances,
des outils, .. mais .. mais tu ne m'écoutes pas ?..
La vie de Grand-Père est passionnante d'habitude. Mais aujourd'hui,
Ousmane se sent bien embarrassé. Il réalise qu'il devra parler de sa
famille devant toute la classe.
- Grand-Père, j'ai peur que les autres se moquent de moi. Tu es le seul
grand-père qui s'appelle Karamoko.
- Et alors ? Tu leur expliqueras que mon prénom signifie "Grand
chasseur de lions". Il y a de quoi être fier, non ?
- Ouais .. enfin .. quand y a des lions.
- Tu n'auras qu'à ajouter que j'ai traversé le désert.
- Ouais .. mais toi c'était sur un dromadaire. Le grand-père de Sophie,
lui, a fait le Paris-Dakar en voiture !
- Dis-leur que la nuit, je sais me guider grâce aux étoiles.
- Ouais .. mais tu sais, ici, les rues sont éclairées ..
- Et si tu parlais de mon couscous ? Je sais bien le faire, non ?
- Ouais .. mais tu le manges avec les doigts. A la cantine, tu te ferais
gronder ! Non, le mieux serait que je dise que tu t'appelles .. Georges
et que tu es charcutier, tiens, comme le grand-père de Julien. Dis, tu
es d'accord ?
- Moi, charcutier ? File d'ici, avant que je te transforme en saucisson !
Ousmane sent bien qu'il est injuste avec son grand-père. Mais il ne
sait vraiment pas comment faire ..
A l'école, les copains racontent la vie de leur grand-père fermier ou
de leur grand-mère boulangère.
Ousmane, lui, regarde en silence son arbre généalogique. Il a dessiné
juste un tronc, et il aimerait bien se cacher derrière ..
Puis la maîtresse explique encore :
- L'histoire de votre famille a commencé bien avant vous, et vous la
continuerez à votre façon. Mais si vous l'oubliez, elle se perdra.
Savoir d'où l'on vient, c'est comme avoir des racines. Et les enfants
comme les arbres ont besoin de leurs racines pour grandir. Mais
quelqu'un a souhaité venir vous parler de tout cela.
D'ailleurs, on frappe à la porte .. Et la porte s'ouvre .. Et Ousmane est
pétrifié !.. Grand-Père ! Que fait-il ici ?..
Il entre dans la classe avec son tam-tam et son boubou.
- Bonjour les enfants ! Je suis le grand-père d'Ousmane. Je m'appelle
Karamoko, ce qui veut dire "Grand chasseur" .. (il fait un clin d'oeil
à son petit-fils). Je viens vous raconter une histoire que le vent du
désert m'a apporté.
Boum ! Boum ! Boum ! Son tam-tam résonne aussi fort que le coeur
d'Ousmane.
- Ah ! Le désert ! Savez-vous qu'il n'y a rien de plus beau au monde ..
et rien de plus terrible aussi. Car le désert avance, avance toujours
plus loin et transforme en poussière tout ce qu'il touche. Et rien ni
personne ne l'arrête. Bien sûr, les hommes et les animaux ont
essayé. Mais le désert a continué d'avancer, d'avancer. Il a asséché
les rivières, il a assoiffé les plantes, il a tué les animaux, il a fait
fuir les hommes. Jusqu'au jour où ..
Ousmane regarde autour de lui, inquiet. Que pensent les autres ?
Mais tous les élèves écoutent son grand-père, bouche bée.
Et Grand-Père continue :
- Jusqu'au jour où quelqu'un a eu l'idée de demander de l'aide aux
Grands Arbres. Ils ont accepté. Ils se sont serrés très fort les uns
contre les autres, jusqu'à former une forêt. Ils ont enfoncé leurs
racines très profondément dans la terre. Et ils ont attendu
courageusement. Le désert s'est approché d'eux. Mais jamais,
jamais il n'a pu traverser la forêt. Et savez-vous pourquoi les
arbres ont réussi à arrêter le désert ?
Dans la classe personne ne le sait. Même pas Sophie. Mais tous
réclament la suite de l'histoire. Ousmane se sent rassuré .. et
même un peu fier.
Alors le tam-tam résonne et Grand-Père ajoute :
- Parce qu'un arbre qui a des racines solides est plus fort que tout.
Plus fort que la soif, plus fort que la peur, plus fort que le désert.
Et souvenez-vous, les enfants, savoir d'où l'on vient c'est comme
avoir des racines et les enfants comme les arbres ont besoin de
leurs racines pour être fort.
Puis Grand-Père demande malicieusement : Au fait, est-ce que les
arbres que vous avez dessinés ont bien tous leurs racines ?..
Alors discrètement, Ousmane se dépêche de prendre son crayon
et d'ajouter à son arbre des racines et des branches. Et sur la plus
grosse branche, à la place de la photo, il écrit Karamoko.
Et pendant que les enfants applaudissent son grand-père, Sophie
lui glisse à l'oreille : Tu en as de la chance, Ousmane, d'avoir un
grand-père qui raconte de si belles histoires ..
d'après un texte de D. Fossette
|